LE LYCÉE AUTOGÉRÉ DE PARIS : CHRONIQUE D’UN DÉMANTÈLEMENT ANNONCÉ

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Vendredi 9 février 2024, à la veille des vacances, le DASEN (Directeur Académique des Services de l’Éducation Nationale)se rend au Lycée Autogéré de Paris, pour faire état à une assemblée, composée d’élèves et de professeurs, des décisions prises par la hiérarchie. Ces décisions font suite aux « préconisations » d’une enquête administrative :

  • Une procédure disciplinaire sera engagée à l’encontre de plusieurs professeurs, d’ici là ils sont « suspendus »,
  • Le rectorat imposera, dans le cadre de la rédaction d’une « convention », les nouvelles modalités de fonctionnement du lycée autogéré. Le pouvoir sera prochainement transféré à Mme Bezat, proviseure du lycée Jean Lurçat (établissement auquel le LAP est rattaché administrativement). Ces modifications sonnent la fin del’autogestion du lycée, tout comme celle de la cooptation et du principe de libre fréquentation, annoncés par le DASEN.

Et un peu avant…

En juin 2022, le rectorat refuse de renouveler la convention qui encadrait le fonctionnement dérogatoire du LAP depuis 2011, en précisant que des principes du fonctionnement doivent être rediscutés.
Durant toute l’année 2022-2023, deux ver-sions successives d’un projet d’expérimentation sont proposées par les membres du LAP. La direction de l’académie refuse de les valider. Le rectorat use de divers prétextes (plus ou moins absurdes) pour etarder la validation d’une nouvelle
convention.
Il semble bien que ce soient des éléments fondamentaux du fonctionnement du lycée qui posent problème à la hiérarchie, mais à ce stade, elle ne l’assume pas frontalement.
Par ailleurs un conflit important émerge au sein du lycée. À partir du mois de Janvier 2023 certains élèves portent des accusations contre un professeur – et c’est de cela dont les médias se feront tardivement et grassement l’écho déformé – en l’occurrence des propos jugés innoportuns ou blessants (« ma puce », « ma chérie ») et des gestes qui ont été considérés comme non nécessaires, ressentis comme des agressions, en particulier lors de séances d’escalade. Le conflit prend de l’ampleur*, et un dissensus important s’installe entre les professeurs : une petite part d’entre eux décident, en désaccord avec le reste de l’équipe, de faire un rapport d’infraction au rectorat. L’administration se saisira de cette opportunité inattendue pour enfin pouvoir mener à bien ses projets de démantèlement
du LAP.
Ainsi sera diligentée une enquête administrative. Soixante-dix auditions se tiennent au rectorat et au ministère sans qu’aucun des inspecteurs ne juge nécessaire d’observer le fonctionnement du LAP.
En ne choisissant comme interlocuteurs que les élèves et parents qui avaient porté des accusations variées envers certains enseignants, il n’y a aucune place pour le contradictoire. La tonalité, inquisitoriale, est donnée.
Comment une procédure où règne l’arbitraire, tant par le secret dont elle s’entoure et qu’elle impose, que par l’impossibilité de recourir aux outils classiques de la défense, peut-elle seule décider de l’avenir du LAP ? Ces enquêtes, bien que rares, servent d’arme de destruction du collectif.

Ses conclusions se veulent sans appel et ont pour but d’enterrer définitivement le projet de lycée autogéré. En comparaison, une enquête administrative sur le lycéeprivé catholique Stanislas, n’a entraîné aucune remise en cause structurelle. Unacte de contrition permettrait-il, à lui seul, de tourner la page ?

Même si le rectorat affirme qu’une suspension n’est pas une sanction, qu’en est-il pour les suspendus ?

Pour les quatre professeurs suspendus à la rentrée de février, cela signifie que leurs projets, tout ce qui est en cours, et plus largement tout ce qui constitue leur travail au quotidien s’interrompt brutalement. Ils ont désormais l’interdiction de se rendre au lycée, de rentrer en contact avec leurs collègues et élèves. Ces interdits ne concernent pas seulement la suspension de leurs activités en lien avec le lycée : il leur est aussi interdit de communiquer les seuls éléments adminisratifs dont ils disposent. Ils doivent faire face à de nombreuses entraves procédurales, notamment dans la consultation de leur dossier administratif. Privés des moyens de préparer leur défense, ils doivent vivre avec l’incertitude de sanctions potentiellement graves.

Mais alors, de quoi sont-ils  accusés réellement ?

Pour la plupart, il leur serait reproché une « méconnaissance du devoir d’obéissance », en somme de ne pas avoir dénoncé à la proviseure de tutelle des événements tenant de la vie politique et sociale du
lycée. Il leur serait aussi reproché leur présence lors d’une occupation de l’établissement par des élèves, et le fait que de l’alcool y aurait été consommé.
De plus, des propos tenus entre collègues lors des tensions de l’année 2023 seraient considérés comme « inadmissibles dansl’exemplarité des fonctionnaires » (sic), supposés signes d’une forme de distance par rapport au « principe de neutralité ».
Seraient aussi pointés d’autres « manquements aux obligations de fonctionnaire » comme le devoir de réserve, et la loyauté vis-à-vis de l’institution.

Doit-on reprocher aux profs du LAP de ne pas être au garde-à-vous ?

Dans les témoignages des uns et des autres lors de l’enquête administrative, les services répressifs du ministère ont pu faire leur marché pour choisir les plus beaux fruits de la rancœur et de la médisance, sur des sujets aussi vastes que différents. Il n’y a que dans les rumeurs qu’ont existé des violences physiques ou des menaces de mort. En plus de cette enquête administrative, quelques articles de presse usant de raccourcis fallacieux sont venus noircir le tableau. Alors, il faut le rappeler, et peut-être le marteler, contrairement à ce qu’affirment quelques titres de journaux informés par des sources douteuses, ce n’est pas parce qu’il y aurait des mises en cause de violences sexistes voire sexuelles que le lycée « pourrait perdre son droit à l’autogestion ». La raison réelle de ces accusations individuelles est très claire : cela participe de l’attaque contre l’existence du LAP lui-même. Par ces suspensions, l’administration fragilise une fois de plus l’équipe, elle empêche différents professeurs de participer à une mobilisation pour défendre le lycée et intimide les autres. Cela vise également à mobiliser les énergies pour défendre les personnes réprimées, et à détourner l’attention des actions du ministère et du rectorat contre le LAP. Faire cela, c’est empêcher le lycée de fonctionner. L’autogestion, c’est aussi le fonctionnement d’une équipe.

Il s’agit bien de la fin possible d’un établissement important et symbolique, d’un lycée qui sauve de nombreuses personnes qui ont eu de très mauvaises expériences au sein d’établissements traditionnels. La fin d’un lieu émancipateur, autogéré, existant depuis 42 ans.

Nous, comité de soutien du lycée autogéré et de son équipe, défendons l’existence de cette institution et de tous ceux qui la font vivre, et nous opposons à toutes ces attaques qui ont lieu à 360 degrés.